jeudi 27 janvier 2011

Dis-moi, Céline

Céline à Meudon
Non, il ne s'agit pas de la chanson d'Hugues Aufray, mais de Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline, dont 2011 marquera, célébré ou pas, le cinquantième anniversaire de la mort.

Les années ont passé, mais les polémiques demeurent. Alors fallait-il, ou fallait-il ne pas, inclure Céline, romancier génial côté pile, antisémite virulent et obsessionnel côté face, dans la liste des personnalités que la République va "célébrer" en 2011, aux côtés de Blaise Cendrars, de Frantz Fanon, de Michel Foucault, d'Alain Robe-Grillet, de Marguerite Monnot (auteure des musiques de nombreuses chansons d'Edith Piaf, dont les sublimes "Hymne à l'amour" et "Milord"), d'Yves Saint-Laurent et d'Astérix, pour ne citer que quelques noms de la "promotion 1961" ?

Pour certains, "l'idéal serait de parvenir à détacher de manière absolue l'homme de l'œuvre". Je ne suis pas sûr que ce soit réellement l'idéal : certes on peut lire "Voyage au bout de la nuit", et l'admirer, sans avoir même idée de l'antisémitisme obsessionnel dans lequel Céline va tomber (c'était mon cas lorsque je l'ai lu, très jeune, comme sans doute celui de beaucoup de lecteurs à l'époque). Mais on le lit différemment, et sans doute mieux, sans nécessairement moins l'aimer, lorsqu'on a conscience de ce qu'a été l'homme qui l'a écrit.

Pour d'autres à l'inverse, comme Serge Klarsfeld, "l'antisémitisme de Céline le discrédite en tant qu'homme et en tant qu'écrivain. [...] Son talent ne doit pas faire oublier l'homme qui lançait des appels au meurtre des juifs sous l'Occupation".

Manuscrit de "Voyage au bout de la nuit"
Roger-Pol Droit, dans la même logique, estime qu' "entre esthétique et morale, chacun fait pencher la balance du côté qui lui convient" : autrement dit, qu'il faut choisir entre l'artiste et le salaud, qu'on ne peut se laisser séduire par l'écrivain qu'à condition d' "oublier la boue, évacuer les ordures, minimiser l'ignoble".

Ni le talent, ni même le génie, ne rachètent la stupidité, la violence ou la folie, pas plus qu'elles n'excusent la bassesse ou le crime. Pourtant tout cela existe et cohabite dans le même cerveau, tout cela est humain, trop humain peut-être. Je crois qu'on peut aimer et admirer Céline le romancier sans pour autant oublier ni minimiser son antisémitisme. De même qu'on peut aimer et admirer Sartre ou Eluard, Aragon ou Heidegger, malgré leur complaisance ou leur compromission avec le stalinisme ou le nazisme, selon le cas. Qu'on peut aimer et admirer l'écrivain Cioran sans oublier qu'il fut, lui aussi, insupportablement antisémite.

Après la Seconde Guerre mondiale, Vladimir Jankélévitch renonça à lire les philosophes allemands. Choix personnel aussi respectable, quoique si peu philosophique, que celui de se couper une main ou se crever un oeil. Mais Jankélévitch n'a jamais prétendu imposer ce choix à quiconque d'autre qu'à lui-même.

Pour ma part, je me retrouve plutôt dans la réflexion de Bernard-Henri Lévy, pour qui "cette célébration [aurait dû] précisément servir à explorer l’énigme qui fait que l’on peut être à la fois ce très grand écrivain et ce parfait salaud ". Doit-on, peut-on choisir entre Dr Jekyll et Mr Hyde ? Non bien sûr, cela n'a pas de sens, il faut prendre les deux et faire avec, ou renoncer à l'un et à l'autre. Et je ne crois pas qu'il faille y renoncer.


Il y avait matière à réflexion, débat, échanges. Au lieu de cela, on a eu droit à une espèce de triste comédie médiatique et politique. Céline aurait sûrement bien ri, ou ricané plutôt. Je ne suis pas sûr qu'on doive s'en réjouir.
__________________________________________

On peut retrouver une chronologie assez complète des actions, opinions et réactions relatives à cette affaire sur le site http://lepetitcelinien.blogspot.com/.
La photo de Céline et celle du manuscrit sont tirées du site http://louisferdinandceline.over-blog.com/.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire