mardi 10 mai 2011

La main de Mitterrand


Je ne me souviens pas très précisément du 10 mai 1981. Comme tout le monde ou presque, j'ai assisté à la télévision à l'apparition progressive du visage de François Mitterrand (quelle trouvaille, cette image d'un front dégarni qui aurait pu être celui de l'autre ...). J'étais presque certain de la victoire, j'avais analysé à fond les résultats du premier tour, il n'y avait guère de doute sur l'issue. Mais tout de même, on ne savait jamais. Ca a été un soulagement de voir et d'entendre le résultat, et un moment de pur bonheur.

Mon idole politique à l'époque, c'était Rocard (celui des années 70, pas celui d'aujourd'hui : celui du PSU, de la gauche de la gauche ...). Je n'aimais pas Mitterrand : j'avais voté pour Brice Lalonde au premier tour (pourquoi pas Huguette Bouchardeau, que j'aimais bien pourtant ? je ne me souviens plus). Presque tout, dans la forme et dans le fond, me déplaisait chez Mitterrand : son éloquence affectée, son passé politique sous la quatrième république, que j'associais aux manoeuvres d'appareil et à la compromission permanente, le souvenir de cet improbable triumvirat de l'"Union de la Gauche" Mitterrand - Marchais - Fabre, conduit par un homme qui n'avait jamais été "de gauche" au sens où je le concevais à l'époque (et où je le conçois peut-être encore), ... Je ne lui avais probablement pas pardonné non plus sa victoire contre Rocard au Congrès de Metz en 79.

Mais voilà : il était l'adversaire de la droite, il la terrorisait même, et il avait promis d'abolir la peine de mort. C'était assez pour que sa victoire soit aussi la mienne.

Ce qui m'étonne, rétrospectivement, c'est la joie collective qui a accompagné ce qui aurait pu n'être que la victoire d'un camp contre l'autre. On avait l'impression que c'était la victoire d'un pays entier. Trois pour cent de voix d'écart, et voilà la moitié de la France réduite, pendant quelques semaines, au silence. Disparue, évaporée, oubliée. Nous fêtions notre victoire, comme si c'était la victoire de tous. Les vaincus se taisaient, comme s'ils avaient conscience de devoir laisser la place, un instant au moins, à la joie des vainqueurs.

Je me souviens surtout du 11 mai, et de ma visite rue de Bièvres ce matin-là. Je voulais voir Mitterrand. Non pas qu'il me fût devenu tout-à-coup aimable. Mais c'était l'homme grâce auquel nous avions gagné, tout simplement. Je lui en étais reconnaissant. J'ai attendu, accroché aux barrières, au milieu de dizaines de curieux et de quelques CRS. Il est là, il va sortir, se disait-on. Une rumeur s'est élevée au moment où il est apparu dans la rue. Je n'aurais jamais imaginé qu'il était si petit ! Mon coeur battait très fort lorsqu'il s'est approché de l'endroit où je me trouvais, serrant des mains tendues. J'aurais voulu qu'il saisisse la mienne. Ce contact espéré n'a pas eu lieu. Je sais, c'est ridicule. Mais il me manque encore.

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