lundi 15 août 2011

Martine Aubry contre la crise


Dans le JDD de ce dimanche, Martine Aubry propose trois mesures pour lutter contre la crise : "pour réduire l'endettement, supprimer 10 milliards de niches fiscales sur les 70 milliards créés depuis 2002", "pour relancer la croissance, baisser à 20% l'impôt sur les sociétés qui réinvestissent notamment les PME et le monter à 40% pour celles qui privilégient les dividendes", "financer un plan d'action pour l'emploi des jeunes" (voir aussi sa tribune dans Le Monde du 13 août).

La première mesure constitue une augmentation de l'impôt pour les bénéficiaires des niches en question : comme ce sont a priori (au moins en moyenne) ceux dont le pouvoir contributif est le plus élevé, cela me paraît de bon sens dans son principe. Dans sa tribune du Monde, Martine Aubry réaffirme également sa volonté d'aligner la fiscalité des revenus du capital et celle des revenus du travail : je souscris - même si j'ai les plus grandes réserves par ailleurs sur la "profonde réforme de la fiscalité" qu'elle semble vouloir promouvoir. J'attends par exemple avec impatience que Martine Aubry nous annonce que, dans le cadre de la suppression des niches fiscales injustifiées, elle propose de réintégrer les oeuvres d'art dans l'assiette de l'ISF.

La troisième mesure me semble également justifiée, même si ce genre d'instrument est coûteux, délicat à manier, et comporte des risques (par exemple la substitution d'emplois subventionnés à des emplois ordinaires). Mais cela vaut le coup d'être tenté, à condition qu'on se donne l'obligation de faire des bilans réguliers de l'efficacité réelle de la mesure.

J'ai en revanche des préventions extrêmes contre la deuxième mesure préconisée, comme je l'ai déjà indiqué ici.

Il faut d'abord souligner qu'une taxation à 40% des bénéfices distribués constituerait une anomalie en Europe : peut-on en même temps prétendre encourager la création d'entreprises en France ? On peut de plus présumer qu'il sera impossible en pratique de cumuler une augmentation de la fiscalité pour les entreprises qui distribuent des dividendes avec une augmentation de la fiscalité pour les bénéficiaires des dividendes en question : il faudrait donc probablement renoncer à aligner la fiscalité des revenus du capital sur ceux du tavail.

Plus généralement, je ne crois pas qu'il soit judicieux de taxer différemment les bénéfices selon qu'ils sont distribués immédiatement aux actionnaires ou réinvestis.

Il n'y a aucune justification "morale" à cette différenciation, puisque, distribué immédiatement, conservé ou réinvesti, le bénéfice de l'entreprise constitue un enrichissement identique pour ses actionnaires : ce sont donc ces derniers, et non l'entreprise, qu'il faut taxer, à la fois sur les dividendes reçus et sur les plus-values. Et, pour assurer la justice fiscale, inclure ces revenus dans l'assiette de l'impôt progressif (impôt qu'il ne faut surtout pas fusionner avec la CSG, mais c'est une autre histoire).

Et il n'y a pas non plus de justification, mais plutôt de sérieux inconvénients, en termes d'efficacité économique ou sociale. Il n'est pas douteux que certains investissements puissent, et doivent, être subventionnés : investissements dans des technologies d'avenir qui ne sont pas encore rentables mais qui ont vocation à le devenir, investissements dans les énergies renouvelables, investissements créateurs d'emplois durables en France, etc. Mais alors, si c'est de cela qu'il s'agit,   pourquoi les actionnaires qui réinvestissent dans leur propre entreprise créeraient-ils plus de bien-être, d'emplois, de prospérité, que ceux qui réalisent des investissements similaires dans n'importe quelle entreprise ? Il y a d'autres moyens, certainement plus astucieux d'un point de vue économique, et certainement moins coûteux pour les finances publiques, d'aider à investir les PME qui ont besoin d'aide, et d'encourager les investissements d'avenir et plus généralement ceux qui sont les plus utiles à la collectivité.

Dernière observation : aider (par une baisse de la fiscalité) un investissement qui serait rentable sans cette aide, c'est faire un cadeau aux actionnaires concernés avec l'argent des contribuables ; aider un investissement qui ne serait pas rentable sans cette aide, sauf dans les cas cités plus haut où cet investissement est jugé utile à la collectivité, c'est gaspiller de l'argent public et encourager le gaspillage de l'argent privé.

Martine Aubry serait bien inspirée de ne plus écouter ses conseillers fiscaux : partant de principes qui semblent justes, comme l'alignement de la fiscalité des revenus du capital sur celle des revenus du travail, la plupart des propositions du PS en matière fiscale me semblent complètement inadaptées. Certes, elles ne lui feront pas perdre l'élection en 2012, qui est quasiment imperdable. Mais, s'il lui venait à l'idée de les mettre en oeuvre, 2017 risquerait d'être douloureux pour elle.

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