jeudi 1 septembre 2011

Euthanasie : faut-il modifier la loi ?


La mort et le Bûcheron, Core, 2006

"Le trépas vient tout guérir ;
Mais ne bougeons d'où nous sommes :
Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes. "
La Mort et le Bûcheron, Jean de La Fontaine. 
"Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, ô Mort."
La Mort et le Malheureux, Jean de La Fontaine
"Mais il n'y a pas que la souffrance physique, il y a le handicap insurmontable, la dépendance, la déchéance, la perte progressive de ses capacités intellectuelles, l'immobilité obligée, l'asphyxie, l'isolement, le refus d'être à la charge de ses enfants ou de la société, l'ennui, l'angoisse, l'humiliation, la lassitude, l'épuisement, le dégoût de soi et de tout... Vouloir quitter la vie dans ces conditions, ce n'est pas la trahir ; c'est protéger une certaine idée que l'on s'en fait, qui ne va pas sans dignité et liberté."
André Comte-Sponville, cité par l'association POLLENS 
Le serment d'Hippocrate, tel qu'il a été réactualisé en 1996 par le professeur Bernard Hoerni  pour tenir compte des évolutions de la médecine, dit ceci : « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. ».

L'article 38 du Code de Déontologie des médecins en France indique quant à lui que "le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d'une vie qui prend fin, sauvegarder la vie du malade et réconforter son entourage. Il n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort."

Tous ces textes illustrent bien les débats sur la contradiction fondamentale de la société (le médecin n'étant en l'occurrence que son représentant) face à la souffrance et à la mort : il faut faire "tout pour soulager les souffrances", il faut aussi ne rien faire pour "provoquer délibérément la mort". Que faire alors lorsque la mort est la seule façon de soulager la souffrance ? Comment choisir entre la souffrance et la mort ?

Le Comité Consultatif National d'Ethique (CCNE), dans son Avis sur Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie, du 27 janvier 2000 , s'interrogeait quant à lui sur une autre contradiction inhérente à la problématique de l'euthanasie, plus importante encore, à savoir "la difficulté de faire droit à deux exigences légitimes mais contradictoires:
• entendre la volonté de chaque personne, ses choix concernant sa liberté, son indépendance et son autonomie
• assumer et assurer pour le corps social, dont la médecine est, à sa manière, le représentant auprès de tout malade, la défense et la promotion de valeurs, en dehors desquelles il n'y aurait ni groupe, ni société."
Sont ainsi en jeu, dans la problématique de l'euthanasie, quatre questions essentielles :

• les interdits moraux et sociaux liés à la mort (la sienne ou celle d'autrui)
• la souffrance individuelle, la façon de l'évaluer, et la légitimité des moyens pour y mettre fin
• le rôle du médecin vis-à-vis de l'individu souffrant
• et enfin la liberté et de l'autonomie de l'individu face à sa propre mort.

La loi française actuelle

La "loi Léonetti" de 2005, dont on trouvera ici les principaux éléments, a inscrit dans le droit français deux points qui font aujourd'hui l'objet d'un assez large consensus, en France tout au moins :

- il est légitime (et non punissable par la loi) d'administrer à un malade un traitement permettant d'atténuer ses souffrances, même si ce traitement peut avoir pour effet d'avancer la mort

- il est légitime (et non punissable par la loi) de cesser l'administration de traitements qui ont pour effet de prolonger la vie de façon "déraisonnable".

Dans le premier cas, il ne s'agit pas à proprement parler d'euthanasie, l'avancement de la mort du patient n'étant qu'une conséquence, et non le but, de l'acte médical. Dans le second cas, il me semble qu'on peut commencer à parler d'euthanasie : on décide de ne pas entreprendre, ou poursuivre, des actions qui pourraient retarder la mort, alors qu'on pourrait le faire. D'ailleurs, avant la "loi Léonetti" de 2005, ce type de décision pouvait éventuellement faire l'objet d'une condamnation pénale pour non assistance à personne en danger, et c'est l'une des motivations de la loi en question.

La question qui se pose aujourd'hui est donc la suivante : faut-il aller plus loin ?


L'euthanasie active et l'assistance au suicide

En janvier 2011 le Sénat s'est prononcé contre une proposition de loi visant à légaliser "l'assistance médicalisée pour mourir", proposition ainsi rédigée : « Toute personne majeure, en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée et qu'elle juge insupportable, peut demander à bénéficier, dans les conditions strictes prévues au présent titre, d'une assistance médicalisée pour mourir ».

L'euthanasie active, qui consiste à administrer volontairement un produit mortel à la personne concernée, reste donc aujourd'hui interdite en France. De même qu'est interdite l'assistance au suicide, qui consiste à fournir à un malade les moyens lui permettant de mettre fin volontairement à ses jours.


Les législations les plus "avancées" en la matière

On trouve ici une analyse comparée des législations européennes en la matière. Le Sénat a également publié un rapport sur les législations aux Pays-Bas et en Belgique.

Les Pays-Bas sont le premier pays au monde a avoir légalisé l'euthanasie (loi de 2001). Des médicaments mortels peuvent être légalement administrés par un médecin, en cas de maladie incurable ou de souffrance intolérable, à des patients l'ayant demandé en toute conscience. L'assistance au suicide est également autorisée, dans les mêmes conditions. La loi s'applique aux malades majeurs ainsi que, sous certaines conditions, aux mineurs à partir de 12 ans.

En Belgique, une loi de septembre 2002 a légalisé l'euthanasie active (mais pas le "suicide assisté") pour les personnes majeures, en l'encadrant très strictement. Le médecin "ne commettra pas d'infraction" dès lors que le patient, victime d'une "souffrance physique ou psychique constante et insupportable" des suites d'une "affection accidentelle ou pathologique incurable", "se trouve dans une situation médicale sans issue".

En Suisse, l'euthanasie passive est autorisée. L'euthanasie active est interdite, mais l'aide au suicide est légale si elle est autorisée par un médecin.

Au Luxembourg, l'euthanasie et l'assistance au suicide ont été légalisées par une loi de 2009, pour les personnes majeures atteintes d’affections graves et incurables en phase terminale. Ces pratiques restent interdites pour les mineurs.


Les termes du débat

Je ne retiens ici que les arguments (tirés pour partie de l'avis du CCNE du 27 janvier 2000) qui me paraissent les plus légitimes, en dehors de toute considération religieuse, en faveur soit du maintien de la législation actuelle, soit de son évolution vers une position semblable à celle des pays les plus avancés en la matière.

En faveur du statu quo

• Toute société repose sur le principe selon lequel la vie est une réalité transcendante et ne peut être laissée à la libre disposition d'un individu. La reconnaissance d'un droit à donner la mort, même dans des cas limités, provoquerait une "brèche morale et sociale" considérable dont les conséquences sont difficiles à mesurer.

• La dignité, qui est une des justifications données par ceux qui revendiquent le droit de demander à mourir, n'est pas une opinion, fût-elle d'une personne sur elle-même, mais un caractère intrinsèque de toute personne.

• La justification légale de l'euthanasie, fût-ce dans des cas très limités, hors d'une demande explicite du malade, pourrait conduire à faire intervenir des paramètres économiques, de confort ou de convenance dans ce qui reste une décision de donner la mort, ouvrant ainsi la porte à de dangereuses dérives.

• En quoi l'assistance au suicide pour un malade incurable est-elle différente de l'assistance au suicide en général ? Ne risque-t-on pas là aussi une dérive dangereuse ?

En faveur d'une dépénalisation de l'euthanasie active et/ou de l'assistance au suicide

• Le droit au suicide est un droit fondamental de l'homme. Pour un individu empêché, par infirmité ou maladie, d'exercer ce droit, l'assistance au suicide, ou l'euthanasie active, est la seule façon d'exercer ce droit.

• L'interdiction juridique de l'assistance au suicide et de l'euthanasie active est une privation de ce droit, privation qui revient à privilégier une norme sociale abstraite par rapport au droit fondamental de tout individu de disposer de sa propre vie.

• Chacun est seul juge de la qualité de sa vie, du caractère supportable ou non de sa souffrance, physique ou psychologique, et de sa dignité. Personne n'a le droit de juger à sa place.

• C'est au malade, et à lui seul, qu'il appartient de juger du caractère raisonnable des actes thérapeutiques dont il est l'objet, quelles qu'en soient les finalités.

On peut ajouter que la loi Léonetti a entrouvert une porte : entre la décision de mettre fin à un traitement (euthanasie dite passive, improprement à mon sens puisqu'elle suppose un acte positif), décision dont on sait qu'elle va provoquer la mort du malade, et la décision d'administrer un produit létal (euthanasie dite active), le pas à franchir me semble plus psychologique qu'éthique, car il s'agit bien, dans les deux cas, d'une décision dont la finalité est d'avancer la mort ...


Mon avis sur la question

Je considère que le droit de disposer de sa propre vie doit être une règle absolue, qui s'impose à toutes les autres. Je ne veux pas qu'un accident ou une maladie me prive un jour de ce droit. Je ne veux pas non plus qu'un seul être humain puisse être privé de ce droit. Chaque personne doit être seule juge du niveau acceptable de sa propre souffrance. Et seule une loi qui non seulement autorise, mais oblige le corps médical à réaliser les actes nécessaires à une euthanasie active, ou une assistance au suicide, à la demande du malade, peut garantir ce droit.

J'entends bien qu'il s'agit là d'une brèche ouverte dans le principe du respect absolu de la vie. Mais, entre ce principe et le droit de chacun à disposer de sa vie, je choisis le second contre le premier.

Ouvrir ce droit n'est en aucune façon de nature à réduire l'exigence que l'on doit avoir par ailleurs quant aux efforts que tous et chacun doivent faire pour aider les malades à vivre aussi longtemps que possible dans des conditions ... simplement humaines, je ne trouve pas d'autre mot.

La loi doit être faite pour protéger les plus faibles contre les plus forts. Tous ceux qui ont un jour mis les pieds dans un hôpital en tant que malades savent bien que, dès les portes franchies, le faible est le malade, le fort le corps médical. Il faut que la loi rende au malade la maîtrise de sa vie, jusqu'à la fin. Sa liberté, son ultime liberté, celle de choisir sa mort.


Extraits de la "loi Léonetti" (Loi n°2005-370 du 22 avril 2005)

"Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé.

Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables. [...] Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable. [...]

Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.

Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance [...], ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté.

Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance [...] ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés." (art. L1111-4)

"Ces actes [de prévention, d'investigation ou de soins] ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie [...]." (art. L1110-5)

"Si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade, [...], la personne de confiance [...], la famille ou, à défaut, un des proches." (art. L1110-5)

"Lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, décide de limiter ou d'arrêter tout traitement, le médecin respecte sa volonté après l'avoir informée des conséquences de son choix." (art. 1111-10)

"Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l'arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment.

A condition qu'elles aient été établies moins de trois ans avant l'état d'inconscience de la personne, le médecin en tient compte pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement la concernant. " (art. L111-11)

"Lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause et hors d'état d'exprimer sa volonté, a désigné une personne de confiance [...], l'avis de cette dernière, sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical, à l'exclusion des directives anticipées" (art. L111-12)

"Lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d'arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n'ayant d'autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance [...], la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne." (art. L111-13)

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