vendredi 4 mai 2012

Comptabiliser les Votes Blancs, pourquoi pas, mais pour quoi faire ?


Parmi les différents types d'électeurs potentiels, il y en a un dont on ne parle pas suffisamment - ou dont on parle trop, selon les goûts : c'est le militant Voteblanchiste.

La revendication Voteblanchiste

La revendication Voteblanchiste ressurgit à chaque élection, avec une récurrence typique du syndrome obsessionnel : les lois électorales - en particulier celle relative à l'élection présidentielle - doivent "reconnaître le Vote Blanc" (sic).

Je dois dire que mon esprit cartésien a du mal à concevoir comment une revendication aussi absurde peut susciter une telle passion, de tels débats et une telle débauche de manifestes et de raisonnements, y compris chez des personnes apparemment normalement douées de raison, sinon de bon sens.

On peut comprendre le point de départ de la démarche du Voteblanchiste : lorsqu'aucun des candidats ne le satisfait, il aimerait avoir la possibilité le faire savoir par son vote, plutôt que de se contenter de s'en plaindre auprès de ses proches ou de ses compagnons de machine à café, ou de s'épancher sur internet en espérant qu'on l'y lise, voire qu'on le soutienne dans sa quête obstinée. Et il voudrait que le monde sache combien d'électeurs (ou plutôt de non électeurs, en l'occurrence) pensent de même.

Car le Voteblanchiste, bien que ne voulant à aucun prix voter pour un candidat, s'investit dans l'élection : il fait l'effort de se déplacer pour aller mettre son bulletin, blanc, dans l'urne. Et il souhaiterait qu'on lui sache gré de cet effort, qu'il considère méritoire. Un peu comme l'élève qui, bien que nul (blanc ou pas, ce n'est pas la question en l'occurrence, et je ne souhaite pas ouvrir ici le débat sur le lien supposé entre la réussite à l'école et la couleur de peau), s'est déplacé pour son oral mais n'est pas capable de répondre à la question posée : l'examinateur se sentira obligé de lui donner un point, pour le déplacement. Pourquoi donc le Voteblanchiste n'aurait-il droit à aucune reconnaissance ?

Mais surtout, le Voteblanchiste a une hantise : qu'on le confonde avec l'une ou l'autre des autres catégories d'inscrits sur les listes électorales n'ayant voté pour personne. Il est vrai que ces catégories sont nombreuses, et variées.

L'Abstentionniste


Il y a l'Abstentionniste bien sûr, avec de nombreuses sous-espèces : l'Apolitique, qui s'en tape et n'en a pas honte ; l'Indifférent, qui trouve les candidats en présence sont tous également excellents, ou également incompétents ; l'Hypocrite, qui serait bien allé voter mais qui n'a pas pu parce que justement ce jour-là il a été obligé d'aller rendre visite à sa belle-mère ; le Négligent, qui a oublié de s'inscrire sur les listes électorales, ou qui est inscrit ailleurs ; l'Occupé, qui est parti trop tôt, ou rentré trop tard, pour pouvoir aller voter ; le Malchanceux, qui s'est foulé une cheville en glissant sur une merde de chien sur le chemin du bureau de vote ; le Résigné, qui pense que son vote ne sert à rien ; l'Indécis, qui hésite entre les candidats sans parvenir à se décider jusqu'à l'heure de fermeture des bureaux de vote ; sans parler du Révolutionnaire, qui pense que les élections sont des pièges à c… Et j'en passe.

Mais le point commun à tout Abstentionniste, c'est qu'il n'a pas fait l'effort minimal que doit faire tout bon citoyen le jour de l'élection :  retrouver sa carte d'électeur, évidemment égarée depuis le précédent scrutin ; renoncer, en partie voire en totalité, à la merveilleuse partie de campagne prévue de longue date avec belle-maman ; se déplacer jusqu'au bureau de vote, au risque de l'accident de trajet, ou d'une averse imprévue alors qu'on a oublié son parapluie, ou encore d'une rencontre avec la voisine trop bavarde, avec laquelle il faudra tailler une bavette pendant dix bonnes minutes alors que c'est l'heure de l'apéro ; prendre un, et un seul, bulletin de chaque candidat dans le distributeur prévu à cet effet, en s'efforçant de ne pas se lécher les doigts parce que ça ne se fait pas ; mettre le bulletin choisi dans l'enveloppe sans se couper, et re-vérifier une dernière fois qu'on n'y a pas glissé le mauvais bulletin ; faire la queue devant l'urne et ses gardiens, sortir de sa poche (mais laquelle, bon sang ?) sa carte d'identité et sa carte d'électeur péniblement retrouvée, et laisser enfin glisser, délicatement, voluptueusement, l'enveloppe dans l'urne, en laissant échapper un soupir de plaisir …

Honni soit donc l'Abstentionniste.

Le Votenulliste


Il y a aussi le Votenulliste. Là encore, il a quantité de sous-espèces : le Distrait, qui met par erreur dans l'enveloppe sa liste de courses au lieu du bulletin qu'il a préparé ; le Tricheur, qui met dans l'enveloppe deux bulletins de son candidat préféré en espérant que ça ne se verra pas ; le Simplet, qui n'a pas compris la règle du jeu et croit qu'il faut mettre tous les bulletins dans l'enveloppe sans en omettre un seul ; l'Artiste, qui ne sait pas lire et qui agrémente son bulletin d'un petit dessin de son candidat préféré ; le Scriptomane, qui accompagne son vote d'une dédicace personnelle, insulte ou déclaration d'amour, au candidat ou à la candidate ; le Timide, qui a remarqué une jolie fille parmi les scrutateurs du bureau de vote et qui met dans l'enveloppe un billet doux à son intention en espérant qu'elle le dépouillera (le bulletin) …

Ainsi, pas plus qu'on ne saurait mélanger les torchons avec les serviettes, et même si le Votenulliste a le mérite, contrairement à l'Abstentionniste, d'avoir fait le déplacement, on ne saurait mettre dans la même urne le Votenulliste et le Voteblanchiste.

Honni soit donc aussi le Votenulliste.

Vrais et faux Voteblanchistes

Admettons alors, pour un instant de déraison, qu'on reconnaisse, parmi tous ces récalcitrants du suffrage exprimé, les mérites éminents du Voteblanchiste.

Mais voilà que surgit un nouveau problème : Marine Le Pen vient de déclarer qu'elle allait voter blanc. Bien sûr, on ne peut pas être surpris que, compte tenu de ses préférences ethniques, Marine Le Pen vote blanc. Mais quand même : un honnête Voteblanchiste peut-il accepter d'être confondu avec un Voteblanchiste mariniste ? Que nenni ! répond le Voteblanchiste outré. Mais alors, comment distinguer les vrais Voteblanchistes de ceux dont le Voteblanchisme n'est que le faux nez du lepénisme ou, pourquoi pas, du bolchévisme ?


Et à la fin, so what ?

Supposons malgré tout que l'on puisse in fine faire le tri entre les véritables Votes Blancs, ceux des Voteblanchistes pur jus, et les votes blancs d'usurpateurs. Mais vient alors la question qui tue : pour quoi en faire, grands dieux ?

La réponse, évidente, aveuglante d'évidence même, sauf pour celui qui ne veut pas voir, c'est : rien. On ne peut rien en faire, en tout cas rien d'utile ni d'intelligent.

Bien sûr, on peut les compter, en les distinguant des votes nuls (sans oublier cependant qu'il y aura des bulletins à la fois blancs et nuls : parce que la couleur du papier ne sera pas exactement le blanc réglementaire, parce qu'il aura un coin corné, parce que l'électeur peu soigneux y aura laissé un trace de doigt sale en le pliant pour le glisser dans l'enveloppe, …). Mais qu'est-ce qu'on fait ensuite ?

Eh bien on fait comme on a toujours fait : on compte les suffrages exprimés pour l'un ou l'autre des candidats, et celui qui a le plus de voix l'emporte. C'est ce qu'on appelle le scrutin majoritaire. Et donc le Voteblanchiste, s'il a eu la satisfaction intellectuelle de voir son bulletin comptabilisé à part, se retrouve à la fin dans le grand chaudron où finissent tous ceux qui n'ont choisi aucun des candidats en présence. Un peu comme le tri sélectif : on trie soigneusement ses déchets pour les mettre dans la poubelle qui va bien, et ensuite toutes les poubelles de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel sont mélangées dans la même décharge multicolore.

Qu'on ne me fasse pas dire néanmoins que le vote du Voteblanchiste, ou plutôt son absence de vote, n'a servi à rien : s'il avait voté pour l'un ou l'autre des candidats, la face du monde eût pu en être changée. C'est donc à juste raison qu'on dit que s'abstenir (sous-entendu : s'abstenir de voter pour un des candidats, y compris sous la forme d'un Vote Blanc) c'est aussi voter.

On pourrait bien sûr imaginer un autre système : que le Vote Blanc soit un vote de récusation, et qu'une majorité relative de Votes Blancs se traduise par la nullité de l'élection. Il suffirait alors, comme à l'Académie, de tout recommencer à zéro, jusqu'à ce qu'un des candidats obtienne plus de suffrages que ne seraient exprimés de Votes Blancs. Et en attendant ce moment, attente qui pourrait en théorie durer éternellement, les gouvernants en exercice continueraient d'exercer, y compris dans le cas où le Président sortant serait l'un des candidats ainsi récusés, y compris donc dans le cas où ce même Président-candidat aurait obtenu un moins grand nombre de suffrages que son concurrent 

Je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire, ni charitable, de poursuivre.

Laissons donc le Vote Blanc, et le Voteblanchisme militant, là où ils sont. Et que vive le suffrage universel, où l'on se contente de choisir, à défaut du meilleur, le moins mauvais !

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