vendredi 19 décembre 2014

Ma lettre au Père Noël

Merci Geluck pour ton cadeau !

Cher Père Noël,

Je t'aime bien, tu es un chic type. Et si tu n'existais pas, il faudrait t'inventer. Je te dis ça au cas, certes très improbable, où tu existerais, et où, de surcroît, tu serais sensible à la flatterie (cette deuxième hypothèse étant nettement moins improbable que la première) : ça augmenterait peut-être mes chances de voir mes vœux exaucés. Parce que, tu vas voir, il y a de quoi faire. D'ailleurs, si tu trouves que c'est trop, je suis prêt à patienter jusqu'à l'année prochaine, voire celle d'après.

C'est ça qu'il y a de bien avec toi : tu reviens toujours l'année prochaine. Enfin, jusqu'à présent. Pourvu que ça dure. Parce que, même si ton chariot est vide cette fois, ou seulement, comme le plus souvent, plein de trucs qui n'en valent pas la peine, voire dont on voudrait se débarrasser au plus vite, on peut toujours espérer pour la suivante.

Et puis, un an, c'est juste ce qu'il faut pour essayer tous les machins que tu nous as apportés, pour voir si ça marche, pour s'en lasser, ou s'en dégoûter le cas échéant, et pour réfléchir à de nouvelles idées de cadeaux. Alors, quoi qu'il arrive, n'oublie pas de revenir l'année prochaine, je compte sur toi.

Juste une dernière chose. Pour les cadeaux, je n'aime pas trop les surprises, sauf quand elles sont bonnes, ce qui arrive malheureusement très rarement. Alors n'essaie pas de me refiler tes invendus de l'an dernier en prétextant que tu n'as pas en magasin ce que j'avais demandé : ça ne va pas le faire. Mets-les directement à la décharge, ça nous fera gagner du temps.

Alors pour cette année, voici ma petite liste. Vois ce que tu peux faire, je t'en saurai gré, infiniment.

- I - 

Je voudrais que tout le monde puisse mourir en bonne santé, ou à peu près. Tout le monde, y compris moi (même si pour moi, ça peut attendre encore quelques années, si ça ne te gêne pas).

Tu vois, je suis raisonnable : je ne te demande pas l'immortalité, ni pour moi ni pour personne. L'immortalité, il n'y a que des gens comme toi pour pouvoir supporter ça. Nous pauvres humains, on en mourrait d'ennui, et même ça on ne pourrait pas puisqu'on serait immortels. Non, il faut mourir, la vie a un commencement, elle doit avoir une fin, c'est mathématique, c'est irréfutable, c'est normal. C'est bien, es ist gut, comme Kant l'a dit fort justement au moment où son heure fut venue.

Brel, lui, disait : "Mourir, cela n'est rien ! Mourir, la belle affaire ! Mais vieillir, ah, vieillir !". Eh bien, figure-toi, je ne te demande pas non plus de m'empêcher de vieillir. Rester éternellement jeune, ce serait d'un ridicule ! D'ailleurs, cher Père Noël, toi qui ne vieillis pas, tu as préféré rester éternellement vieux, bien à l'abri derrière ta barbe blanche : tu as mille fois raison, c'est quand même bien plus reposant !

Tu as constaté comme moi, pourtant, que certains vieillissent mal. C'est à propos du Maréchal Pétain que de Gaulle avait repris ce mot de Châteaubriant : "La vieillesse est un naufrage". Mais vieillir doucement, bénignement, dignement, sereinement, est un plaisir dont je voudrais profiter. Pas trop tôt, pas trop vite, et pas trop longtemps, bien sûr. Et tant pis si, comme disait aussi le même Brel, "plus on devient vieux, plus on devient c...". C'est d'ailleurs pas tout à fait faux, mais pas tout à fait vrai non plus : j'ai l'impression qu'y a autant de jeunes cons que de vieux cons, pas toi ? Mais peut-être ne sont-ce pas les mêmes. Auquel cas le bon Brassens n'aurait pas non plus tout à fait raison, qui pensait que le temps ne fait rien à l'affaire, et que quand on est con, on est con ... Quoi qu'il en soit, ayant été un jeune con, il ne serait pas illogique que je devinsse un vieux con. D'un autre genre. Ou pas.

Alors vieillir, oui. Mais vieillir bien portant ! Je voudrais, cher Père Noël, qu'on dépense l'argent de la Sécu à maintenir les gens en bonne santé, plutôt qu'à les maintenir en vie. Parce que ce qui est atroce et insupportable, ce n'est pas de mourir, ce n'est pas de vieillir, c'est d'être en vie, vieux et malade, sans espoir de guérison ni même d'amélioration. Ou de voir autour de soi des gens vieux et malades, et savoir qu'ils ne vont plus rien faire d'autre que souffrir, gémir, ou divaguer, et crever de peur, en attendant de crever pour de bon. Évidemment, s'il y avait un Bon Dieu, ça n'existerait pas. Mais manifestement il n'y en a pas, ou alors il a d'autres occupations plus intéressantes. Alors, cher Père Noël, si tu peux faire quelque chose pour que ça aille mieux de ce côté-là ...

Et puis, en attendant, cher Père Noël, si tu pouvais aider Vincent Lambert à mourir enfin, ça me ferait plaisir. Et encore plus si tu pouvais faire qu'il n'y ait à l'avenir plus de parents ni de médecins qui puissent empêcher quelqu'un de mourir en paix.

- II - 

Je voudrais que les gens soient moins cons. Vaste programme, aurait dit de Gaulle, encore lui. Les gens, évidemment, c'est tout le monde, ou à peu près. Après c'est une question de degré. Je vais te donner quelques pistes, parce qu'on ne peut pas citer toutes les manifestations de la connerie humaine - Einstein disait, dit-on, que c'est la seule chose dont on soit vraiment certain qu'elle soit infinie.

Un des trucs auxquels tu pourrais t'attaquer, cher Père Noël, c'est les religions. Attention, je n'ai pas dit les croyances, évidemment : je ne te demande pas de scier la branche sur laquelle est assis ton fonds de commerce. Je veux dire que tu devrais faire disparaître les utilisations insupportables d'icelles.

Par exemple celle consistant à ajouter le nom d'une religion après le mot État : État islamique, État juif, tout ça c'est de la préparation de chair à canon.

Par exemple celle consistant à considérer qu'il faut persécuter ou tuer tous les infidèles. C'est pas parce que nous, bons catholiques, avons donné l'exemple au cours des siècles passés, en brûlant des temples et des synagogues, en massacrant à tour de bras, par des procédés divers dont la douce et pittoresque coutume du bûcher, et au nom du Dieu évidemment unique et seul véritable, les Mahométans, les Juifs, les Cathares, les Protestants, les athées, etc., qu'il faut que tout le monde fasse pareil.

Par exemple aussi, celle consistant à considérer les femmes comme des sous-hommes. Pas besoin de m'étendre là-dessus, Père Noël, tu vois ce que je veux dire. Ou alors, si tu ne vois pas, demande à Zemmour.

D'ailleurs, à propos du dit Zemmour, ce qui serait vraiment bien, tu vois, ce serait qu'on arrête d'en parler. Non pas qu'on l'empêche de parler, tout le monde a droit de dire des conneries, aussi consternantes et malfaisantes soient-elles. Non, ce que je voudrais juste, c'est que tous ceux qui tombent à pieds joints dans le piège de la provocation qu'il prend si grand et si ostensible plaisir à leur tendre réalisent qu'ils ne font qu'entrer dans son jeu délétère, renforcer ses obsessions morbides et conforter ses zélateurs. Parce que, évidemment, la mayonnaise, même bien indigeste, plus on la touille, plus elle monte. Parce que, si on le laissait parler sans réagir, il en arriverait assez vite à se taire, car à quoi bon provoquer si la provocation tombe dans un grand trou si profond qu'on n'entend même pas de plouf quand elle touche le fond ?

- III - 

Je voudrais que toutes les mamans et tous les papas du monde puissent offrir un cadeau à leurs enfants. Et que tous les enfants du monde reçoivent au moins un cadeau, même ceux qui n'ont pas de maman ni de papa. Je te vois d'ici, cher Père Noël, rigoler dans ta barbe : tu te dis que j'aurais pu trouver plus original, comme idée de cadeau. Certes. Et alors ? Ça te la défrise, ta barbe ? Eh bien tant pis pour toi, ça sera quand même dans ma liste.

Et ce que j'aimerais aussi, par la même occasion, c'est qu'on arrête de faire semblant de croire, et d'essayer, avec succès malheureusement, de nous faire croire, que c'est en prenant plus aux plus riches qu'on pourra donner plus aux plus pauvres. Parce que c'est évidemment un gros mensonge.

A ce propos tu te souviens sûrement, Père Noël, d'un type un peu rondelet qui s'époumonait naguère devant une foule en délire en répétant : "Mon ennemi, c'est la finance !". Quel bonimenteur, qui ne croyait pas un mot de ce qu'il disait ! Quelle farce ! Mais une farce tragique, parce que tous ces gens qui l'écoutaient l'ont cru, comme on croit ordinairement tous les démagogues, et en ont conclu que si les riches étaient moins riches, les pauvres seraient moins pauvres. ... Ses ennemis, plutôt que les riches, ç'auraient dû être la misère, le chômage, le décrochage scolaire, le désœuvrement, le j'm'en foutisme, le mensonge, le cynisme ... Et les riches, on s'en balance, en fait, et en plus ils ne sont même pas plus heureux que les autres ...

Je voudrais, cher Père Noël, que les hommes politiques, et les journalistes qui vont avec comme les moineaux vont avec la main qui leur jette des graines à picorer, cessent de prendre les gens pour des imbéciles. Et de faire mine, après ça, de s'étonner que Marine le Pen fasse un tabac. Elle n'a qu'à tendre la main pour les ramasser, les voix, on les lui sert sur un plateau d'argent !

Je voudrais qu'on ait des hommes politiques courageux, forts, intelligents et honnêtes. Et des journalistes qui travaillent et qui pensent par eux-mêmes, c'est à dire contre eux-mêmes. Tu trouves que c'est trop ? Écoute, c'est toi qui vois ... et pense aux enfants à qui tu n'es même pas fichu d'apporter un cadeau ...

- IV - 

Je voudrais qu'il y ait de la neige à Noël. Bon, d'accord, c'est un rêve, pour cette année. Débrouille-toi en tout cas pour l'année prochaine. S'il te plaît, Père Noël.

- V - 

Je voudrais que tous les enfants du monde aient envie d'aller à l'école. Même les français. Qu'on leur en donne l'envie. Que l'école leur apprenne à être heureux. Parce que tu sais que pour ne plus avoir peur, il faut être heureux.

Je voudrais que les gens redeviennent optimistes. Je voudrais, comme Rimbaud, "qu'il vienne, qu'il vienne, le temps dont on s'éprenne".

Je voudrais que les gens retrouvent confiance dans la police, la justice, l'école, dans leur propre capacité à inventer un avenir plus souriant pour leurs enfants.

Je voudrais qu'on arrête de nous faire peur pour tout et rien. Que les gens arrêtent d'avoir peur de tout et de rien. Le réchauffement climatique, les OGM, le nucléaire, les manipulations génétiques, et j'en passe, d'accord, il faut faire attention à tout ça, mais plutôt que de tout arrêter, tu ne crois pas, cher Père Noël, qu'il faut regarder le bon côté autant que le possible mauvais, et puis bosser pour que ça ne nous pète pas à la figure ?

Je voudrais que les policiers américains blancs se retiennent un peu plus avant de tirer sur les enfants noirs. Peut-être qu'il suffirait qu'ils aient moins peur. Enfin, je dis qu'il suffirait, évidemment c'est une façon de parler, parce que ce n'est sûrement pas si facile. Mais peut-être que si les Américains acceptaient de limiter leur consommation d'armes à feu il y aurait moins d'enfants qui en trimbaleraient pour de vrai, et donc peut-être que les policiers auraient moins peur et y réfléchiraient à deux fois avant d'appuyer sur la gâchette ... Peut-être, c'est à toi de voir, Père Noël, c'est ton boulot.

- VI - 

Je voudrais ... non, ce n'est pas la peine que je te le dise, celui-là. Je le garde pour moi. De toute façon il n'y a aucune chance que tu puisses me le faire, ce cadeau-là. Ni toi, ni personne. Ce sera pour une autre vie, peut-être. Garde ton énergie pour les autres.

Allez, mets-toi au boulot, s'il te plaît.

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