dimanche 3 mai 2015

Où il est question des catholiques traditionnalistes, du latin, de la résurrection, de l'égalité des sexes, du mariage pour tous et de Najat Vallaud-Belkacem


J'ai eu, il y a quelques jours, l'occasion d'assister à une messe de mariage célébrée selon le rite catholique dit "romain dans sa forme extraordinaire".

De la messe en latin

Selon ce rite, la messe est célébrée conformément au Missale Romanum, codifié en 1570 à la suite du Concile de Trente - d'où le nom de "messe tridentine" qu'on lui donne parfois. Pour mémoire, le Concile de Trente s'est conclu par une condamnation sans appel de l'"hérésie" protestante, et a été immédiatement suivi par le début des guerres de religion en France et aux Pays-Bas (le massacre de la Saint Barthélémy date de 1572). Mais cela n'a rien à voir avec mon propos d'aujourd'hui. Encore que ...

L'une des particularités de ce rite est que tous les textes sont lus en latin, certains étant ensuite lus en français, pour les ignares qui ne comprendraient pas le latin - ce qui explique, en partie au moins, pourquoi cette messe dure plus de deux heures.

Lorsque, à la suite du concile de Vatican II, la messe catholique avait commencé à être dite en français, j'avais trouvé bienvenu ce changement. Il me semblait relever du simple bon sens, et j'avais du mal à comprendre l'obstination de certains à continuer à réciter en latin des textes que la quasi-totalité des fidèles ne comprenaient pas.

Je dois dire que mon jugement sur la question a un peu évolué. Certes les fidèles, dans leur immense majorité, ne comprennent pas le latin. Et ils ont sans doute l'impression de comprendre les textes lus ou dits en français. Mais est-ce bien sûr ? Ils comprennent les mots, sans doute. Mais qui pourrait prétendre, sans mentir, ou sans se mentir à soi-même, comprendre réellement quelque chose à ce qui est dit ? Prenons simplement le texte du Credo. Est-ce que quelqu'un peut comprendre, avec son intelligence (intelligere, dirait-on en latin), que Jésus Christ a été "conçu du Saint Esprit " ? Peut-on comprendre la virginité de Marie ? la résurrection de Jésus ? la vie éternelle ?

On me dira que je fais du mauvais esprit. Pourtant, il suffit de lire ce que dit, sur le thème de la résurrection, un grand théologien français, Bernard Sesboüé, pour être convaincu non seulement que personne, pas plus lui qu'un autre, ne comprend rien à la résurrection, mais que l'espérance de la résurrection n'est au fond que la traduction humaine du désir d'immortalité qui, paraît-il, est le propre de l'homme (avec le rire, à mon avis bien meilleur pour la santé). "C'est cette espérance, conclut notre théologien, [qui] nous permet de comprendre la résurrection de Jésus et d'y adhérer par la foi". On "comprend" parce qu'on espère, on croit parce qu'on espère. Le texte s'intitule d'ailleurs "Le mystère de la résurrection de Jésus" : on a donc bien compris qu'on ne comprenait pas, et qu'il était vain de chercher à comprendre.

Ainsi donc, puisqu'il est vain de chercher à comprendre, quel inconvénient y a-t-il donc a dire tout ça en latin, une langue qui, même dans sa version (latine, évidemment) de messe, est si belle, et se chante si bien ?

Comme disait Georges Brassens (les paroles intégrales sont ici, et Georges chante sa petite chanson) :
Ils ne savent pas ce qu'il perdent, tous ces fichus calotins,
Sans le latin, sans le latin, la messe nous emmerde.
A la fête liturgique, plus de grandes pompes, soudain,
Sans le latin, sans le latin, plus de mystère magique.
Le rite qui nous envoûte s'avère alors anodin,
Sans la latin, sans le latin, et les fidèles s'en foutent
O très Sainte Marie, mère de Dieu, dites à ces putains de moines
Qu'ils nous emmerdent sans le latin.

Au passage, j'ai noté aussi que, bien que le Notre Père soit plutôt, dans ce fameux rite romain extraordinaire, un Pater Noster, la traduction française qui en est proposée est restée celle d'avant Vatican II : comme on peut le voir ici, sur ce sujet au moins, j'ai une certaine sympathie pour ces catholiques traditionalistes ...

Du mariage

Il s'agissait donc, comme je le disais au début de ce billet, d'une messe de mariage. Mariage entre un homme et une femme, bien sûr.

Voici le premier texte choisi de cette messe, lu d'abord en latin, puis, pour que nul n'en ignore, en français. Il s'agit d'une épître de Saint Paul aux Éphésiens (5, 22-33). Je cite : " Mes frères, que les femmes soient soumises à leur mari comme au Seigneur, car le mari est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l’Église [...]. Ainsi, de même que l’Église est soumise au Christ, que les femmes soient soumises à leurs maris en toutes choses."

Un peu plus tard, on récite la prière suivante (je le donne aussi en version française) : "Seigneur, [...] accordez votre secours à l'institution du Mariage, par laquelle vous avez réglé l'accroissement du genre humain [...]."

Le deuxième texte n'est, au fond, pas problématique en soi, ou ne devrait pas l'être : il suffirait que l'on admette une bonne fois que le mariage religieux est d'une nature différente de celle du mariage civil, et que la loi religieuse peut, sur certains sujets, refuser des droits que la loi civile donne. C'est par exemple le cas pour le divorce, et ça n'émeut plus personne, je pense. Malheureusement les débats sur le mariage homosexuel n'ont pas contribué à ce que la société dans son ensemble prenne acte de cette distinction, et c'est dommage. Il faut dire que les opposants au mariage homosexuel ont largement nourri la confusion : ils sont encore nombreux, y compris parmi les catholiques, ceux qui voudraient que la loi civile se soumette à la loi religieuse.

Le premier texte pose, me semble-t-il, un problème plus sérieux. Ou plutôt, ce qui pose problème, c'est que l’Église catholique, ou au moins une fraction de cette communauté, fasse la promotion d'un texte qui prône la soumission de la femme à son mari, et laisse entendre que c'est effectivement la loi du mariage. En l'espèce, ce n'est pas seulement la contradiction entre la loi civile et la loi religieuse qui est choquante : c'est aussi celle entre cette loi religieuse et le principe d'égalité tel qu'il est communément entendu aujourd'hui dans notre société.

Bien sûr, l'obligation de soumission de l'épouse est tempérée par l'obligation tout aussi forte faite à l'époux d'aimer et de respecter son épouse. Et il ne faut pas oublier que, dans la loi civile française, l'obligation d'obéissance de la femme mariée n'a été supprimée qu'en 1938, et que ce n'est que depuis 1965 qu'une femme peut ouvrir un compte en banque sans l'accord de son mari, et que depuis 1970 que le mari n'est plus désigné par la loi comme le "chef de famille" ...

Reste qu'il y a encore du chemin à faire pour que le principe d'égalité entre hommes et femmes soit admis par tous. Alors oui, Najat Vallaud-Belkacem a mille fois raison de se battre pour que les enfants soient éduqués à l'égalité entre filles et garçons pendant toute leur scolarité.

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