mercredi 16 septembre 2015

Qui l'eût cru ?



L'autre jour, j'ai reçu une publicité pour la foire aux vins de mon supermarché. "Venez goûter nos grands crus", disait le prospectus, "vous n'en croirez pas vos papilles".

J'y ai cru. Alors j'ai marché. Que dis-je, j'ai couru au supermarché. 

Au rayon des grands crus, les vendeurs étaient débordés. Bien qu'on fût un dimanche matin, tout le monde était sorti de son lit. Je n'aurais jamais cru qu'un supermarché pût être aussi bourré. Ça bouchonnait dans toutes les allées. 

Et il n'y avait pas que des gens du cru ! Il y en avait de toutes les formes, de toutes les tailles, de toutes les couleurs, des blancs, des jaunes, des gris, des rosés, des rouges, des tuilés ... Il y en avait même un, il faisait au moins deux litres, euh ...  deux mètres, et il était tout beige ... Un grand écru, au milieu des grands crus, qui l'eût cru ? 

Bref, au rayon des grands crus, c'était la grande crue !

En me laissant porter par le courant, je me suis approché des vendeurs. Ah ! Si vous aviez entendu leurs boniments, vous y auriez cru vous aussi ! 

Il y avait des saints partout : Saint Amour, Saint Joseph, Saint Julien, Saint Estèphe, Saint Nicolas, et j'en passe ... Quelle litanie ! On se serait cru au paradis, je vous le dis. 

Un vendeur criait : goûtez ce Saint Emilion Grand Cru, vous n'en croirez pas vos papilles ! Moi, en principe, je suis plutôt genre Saint Thomas, je ne crois que ce que je bois. Alors j'en ai bu un petit verre. Et le miracle s'est produit, et j'ai cru.

Un autre vendeur s'égosillait : goûtez ce Ducru Beaucaillou, croyez-moi, ça c'est du cru ! Cette fois, je l'ai cru tout de suite, et j'en ai bu un petit verre.

Un troisième s'époumonait : goûtez ce petit Gris de Toul, voyez comme il roucoule ! Il nous prenait pour des pigeons, mais j'ai fait comme si je l'avais cru, et j'en ai bu un petit verre. 

Ils étaient tous du même tonneau, ces vendeurs de crus. Alors j'ai continué à goûter. A chaque nouveau cru je croyais davantage, à mesure que ma connaissance des grands crus était accrue.

Au dernier stand, ils avaient mis une vendeuse. C'était la première fois que je la voyais dans le magasin, sûrement une nouvelle recrue. Elle me susurrait à l'oreille : goûtez, mon mignon, goûtez ce Dom Pérignon ! Il eût fallu qu'on fût de chêne pour résister ! J'ai plongé mes yeux dans les yeux pétillants de la demoiselle, et mes lèvres dans les bulles du champagne qu'elle m'avait généreusement servi. C'était ... divin. Et j'en ai bu un grand verre.

Le vin, croyez-moi, il n'y a rien de meilleur pour le teint. En arrivant au supermarché, je me sentais un peu patraque, j'étais tout blanc. Blanc de blanc. Après quelques coupes de rosé, je commençais à avoir le visage un peu couperosé. Un petit verre de vin jaune par dessus, et j'ai viré à l'orange. Deux ou trois verres de rouge plus tard, j'étais couleur terre cuite, bien cuite même. Après mon dernier petit verre de gris, j'ai commencé à tourner, tourner, ... tourner au vert-de-gris. Il faut dire que je commençais à être un peu gris.

En rentrant du supermarché, à force de petits verres et de grands crus, j'étais recru de fatigue, j'étais même complètement cuit. Pourtant je me sentais léger, léger comme un petit oiseau, je chantais : cui-cui-cui ...
Après une telle débauche de crus, je n'avais plus du tout soif, évidemment.  Mais j'avais une petite faim. Alors je me suis fait cuire des pâtes. Des pâtes cuites, après les grands crus, ça vous épate ? Des pâtes, oui ! Mais des Lustucru ! et bien beurrées !

Et pour achever ma journée, et pour m'achever du même coup, j'ai re-goûté à tous les crus que j'avais rapportés du supermarché. 

Eh bien, croyez-moi, pour prendre une grande cuite, rien de meilleur que les grands crus !

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