lundi 23 octobre 2017

De la langue française et de celles qu'on dit "étrangères"

(Réponse à Diwan)


Certain.e.s (*) se sont ému.e.s (*) de voir dans ce blog (devrais-je dire ce cybercarnet, pour complaire aux lecteurs (*) anglophobes ?), généralement aussi respectueux que possible des règles et usages de la langue française, des cartoons (des dessins humoristiques, si vous préférez) dont les textes sont rédigés en langue anglaise (le dessin des dits cartoons, lui, s'accommodant en principe de toutes les langues humaines - encore que ... mais c'est une autre histoire).

Je dois d'abord présenter mes excuses - excuses à moitié sincères - à ceux et celles qui en auraient été frustrées (**) du fait de leur méconnaissance de l'anglais. Excuses, parce que s'il est facile de chercher, et de trouver, le sens d'un mot qu'on ignore, il est parfois plus difficile de comprendre le sens d'une phrase écrite en langue étrangère lorsque le seul outil dont on dispose est la machine à traduire de Google. A moitié sincères seulement, parce que je n'en éprouve malgré tout aucun regret.

J'aime la langue française - bien que je ne l'aie pas choisie, étant né au langage en son sein. Je l'aime comme on aime sa famille, comme on aime les lieux de son enfance. Je l'aime parce que je pense et je m'exprime à travers elle, parce que je me sens libre de jouer avec elle, parce que je la maîtrise comme un cavalier expérimenté maîtrise sa monture ... Mais pourquoi faudrait-il que cet amour soit exclusif ? On peut aussi aimer d'autres langues que la sienne, et les aimer d'autant plus et d'autant mieux qu'on aime davantage la sienne.

On dit souvent qu'il faut "respecter" sa langue. Mais il faut pareillement respecter la langue d'autrui. Ces deux respects vont de pair. Respecter une langue, c'est respecter celui à qui l'on s'adresse, et c'est aussi respecter celui qui s'exprime par elle. N'oublions jamais que chaque langue qu'on nomme "étrangère" est la langue maternelle de celui qui la parle.

Il faut, bien sûr, traduire, le plus possible, et dans toutes les directions. Les traductions sont bien souvent le seul moyen, pour moi comme pour la plupart des gens, d'avoir accès à d'autres gens (morts ou vivants) parlant d'autres langues (vivantes ou mortes). Mais une traduction, aussi bonne soit-elle, reste une interprétation (je crois bien que j'ai déjà écrit ça un jour), le produit d'une lecture et d'une réécriture. Et contrairement à la musique, écrite dans un langage universel mais qui ne s'incarne que dans chaque interprétation personnelle, un texte est lié à sa langue aussi indissolublement que l'esprit (ou l'âme, si l'on veut) l'est au corps. Un texte porte avec lui tout ce que porte sa langue, c'est-à-dire (pour simplifier) une culture. Arracher un texte à sa langue, même avec d'infinies précautions, pour le transplanter dans une autre, ce n'est pas un crime, c'est même une bonne action : mais c'est en faire un autre texte.

Alors oui, chaque fois que c'est possible, et plus encore lorsqu'il s'agit d'un texte dans lequel le geste, le mouvement, l'intention, le rythme, la musique, l'intonation, l'esprit, ou le référentiel culturel, ont une part aussi importante que le sens, comme c'est le cas notamment de l'humour, des dialogues, de la chanson, ou de la poésie, je crois qu'il faut s'attacher au texte original, pour s'efforcer de ne rien perdre de ce que l'auteur a voulu y mettre, du charme, de la finesse, de la saveur, du sens qui est au-delà du sens.

Respecter sa langue, c'est aussi prendre garde de ne pas la condamner à devenir une langue moribonde.
J'ai dit ailleurs, je crois, tout le mal que je pensais des ayatollahs de la langue française qui, prétendant la défendre, poussent des cris d'orfraie chaque fois qu'un mot venu d'ailleurs tente de s'installer chez elle sans permis de séjour, ceux qui veulent à tout prix reconduire à la frontière, ou "franciser" de force, ces mots étrangers indésirables qui menaceraient son "identité". Alors que ces importations, ces emprunts, c'est aussi ce qui fait qu'une langue est vivante. Loin de traduire une faiblesse, c'est au contraire ce qui l'enrichit et la nourrit, ce qui fait sa force et sa résilience.

Il en va, au fond, de la langue comme des êtres humains : l'étranger est une richesse. Le rejeter, c'est se condamner soi-même à l'appauvrissement, au racornissement, et aux relents aigres des passions tristes.



(*) Peut-être un jour écrirai-je un papier sur l'écriture dite inclusive, ses vices et, pourquoi pas, ses vertus - car il n'est pas exclu qu'elle en ait quelques unes, en dépit des apparences.

(**) Accord de l'adjectif avec le dernier nom de la liste qu'il qualifie, règle expérimentale décidée ce jour par moi-même pour mon usage personnel, valide jusqu'à ce que je décide d'en changer. Voir aussi (*).

1 commentaire:

  1. "Certain.e.s (*) se sont ému.e.s (*) de voir dans ce blog [...] généralement aussi respectueux que possible des règles et usages de la langue française, des cartoons (des dessins humoristiques, si vous préférez) dont les textes sont rédigés en langue anglaise..."

    En ce qui me concerne, "émue" est beaucoup dire... mais "agacée" est vérité souriante, semblable à tes "Agacements" qui me réjouissent tant !

    Je suis trop curieuse, trop gourmande des mots, pour ne pas savoir qu'ils naissent ici... ailleurs... qu'ils grandissent, qu'ils s'en vont voyager pour mieux nous revenir*, qu'ils se déforment comme un chandail trop porté, qu'ils s'usent, qu'ils meurent... pour laisser la place aux nouveau-nés.

    J'envie ceux, celles, qui lisent Rabelais dans le texte - que de superbes mots aujourd'hui disparus ! – et je me console en pensant que si Madame de Sévigné revenait, elle serait la plus surprise, la plus étourdie, la plus étonnée des lectrices !

    "Savez-vous chère Marquise, qu'aujourd'hui, on part en week-end... on se gare au parking... on se contente d'un brunch... Et puis, on clique, on affiche sur le bureau, on extranet aussi facilement qu'on intranet et qu'on internet ! On dialogue dans une boîte, on sauvegarde nos mots comme s'ils couraient grand danger. Parfois ça bug, alors vite, on escape !"

    Que veux-tu... je suis de celles, de ceux, qui préfèrent un baladeur** à walkman... un courriel à un email.

    Mais si pour lire tes billets d'humeur, tel "De la langue française et de celles qu'on dit "étrangères", je dois t'agacer... je recommencerai !
    (Là, il me faudrait un smiley taquin !)

    * tel "jaquette".
    ** quasi disparu de nos oreilles !

    RépondreSupprimer